Le Community-Industry Relations Group (C-IRG) est un détachement secret et armé de la GRC, spécialement créé pour contrôler la résistance des autochtones aux projets d’extraction des ressources. En appelant à l’abolition du C-IRG, nous voyons clairement comment l’abolition de la police, la restauration écologique et Land Back sont la continuité de la même lutte. Travailler à l’abolition de la police, c’est porter un coup au colonialisme, à l’extractivisme, à la crise climatique et au capitalisme lui-même.
Le mythe du secteur public
En fréquentant l’école publique au soit-disant Canada, on est porté à croire que le gouvernement joue un rôle essentiellement neutre, voire parfois positif, dans les conflits entre les entreprises d’extraction de ressources et les communautés auxquelles ces projets portent préjudice. Nos manuels scolaires étaient remplis d’exemples de législateurs* américains et canadiens adoptant des réglementations qui protégeant les gens ordinaires de la pollution des entreprises privées à la recherche de profits.
Le mythe selon lequel le gouvernement canadien s’opposerait aux entreprises est un puissant outil de propagande. La réalité est que notre gouvernement de colons-capitalistes et son système juridique colonial ont été créés en tandem avec les industries extractivistes, expressément pour soutenir l’accumulation capitaliste par la force violente. Les capitalistes ont mis en place un gouvernement à leur service et une police coloniale pour éliminer les habitant·e·s autochtones, pour écraser la résistance armée du peuple et pour repousser les capitalistes américains concurrents qui auraient pu commencer à empiéter sur “leurs” ressources. Contrairement à ce qu’on nous a appris à l’école, dans la grande majorité des cas, l’État tient un pistolet sur la tempe du peuple pour que les capitalistes puisse voler, saccager, polluer et extraire en toute impunité. L’État et les compagnies privées sont blanc bonnet et bonnet blanc au soi-disant Canada. Avant d’être l’État canadien, le territoire appartenait à la compagnie de la Baie d’Hudson et il reste à ce jour à solde des compagnies minières, peu importe les millions de dollars dépensés pour fabriquer une mythologie national basée sur le hockey et les timbits.
La GRC: 150 ans de violence coloniale
La Police à cheval du Nord-Ouest (PCN-O), prédécesseur direct de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), a été créée en 1873 juste après la rébellion métisse de la rivière Rouge. Elle a été créée dans le but exprès de chasser les communautés autochtones de l’Ouest canadien et d’écraser les dernières poches de rébellion, afin que le nouvel État colonial puisse s’étendre d’un océan à l’autre. Dans l’une des premières crises sociales et écologiques provoquées par le nouvel État canadien, la PCN-O est aussi en partie responsable de la quasi-extinction des bisons dans les plaines de l’Ouest. La PCN-O a immédiatement entrepris de repousser les autochtones de plus en plus loin vers l’Ouest afin de permettre aux colonies européennes de s’installer dans des fermes d’élevage cloturées sur les pâturages d’origine des bisons. Pendant ce temps, les colon·ne·s américain·e·s se sont lancés dans une campagne systématique d’éradication des bisons pour ouvrir la voie à l’élevage et à l’installation de colonies blanches dans le sud, dans le but de forcer les communautés autochtones à dépendre des rations alimentaires coloniales et de les enfermer dans des réserves sous la menace constante de la famine et la maladie. Une fois la population de bisons effondrée, la police se livra à des humiliations et à des violences sexuelles systématiques en contrôlant la distribution des rations alimentaires aux réserves nouvellement créées afin de “garantir leur accès aux adolescentes autochtones”, entre autres atrocités.
Au fil des ans, la GRC et les forces de police provinciales ont toujours veillé à ce que la classe capitaliste ait le droit de raser les forêts, de procéder à des coupes à blanc, d’extraire les ressources fossiles d’ouvrir des mines sur les terres autochtones ou n’importe quelle autre connerie qui fait du profit. En l’occurrence, lors du conflit armé d’Oka en 1990 concernant l’expansion d’un terrain de golf et le développement de condos sur les terres Kahnienkehaka, la Sûreté du Québec, puis l’Armée canadienne ont envoyés des officiers avec des M-16, des tanks, des hélicoptères, des jets, des unités d’artillerie et même des forces navales pour réprimer la résistance à la fois à Kanehsatà:ke et à Kahnawake. L’affrontement armé a duré 78 jours et a finalement permis de bloquer le développement du terrain de golf. 5 ans plus tard, la GRC a mené un siège de 31 jours sur le territoire Secwepemc, tirant près de 77 000 balles de fusil et menant a l’arrestation de plusieurs défenseurs des terres Ts’peten lors de l’impasse du lac Gustafsen en Colombie-Britannique. En 2013 et 2014, la GRC a arrêté plus de 40 membres de la Première nation Elsipogtog qui s’opposaient aux projets de gaz de schiste et de fracturation sur leur territoire. Ce ne sont là que quelques exemples parmi des centaines d’autres dans l’histoire du soi-disant “Canada” qui mettent en évidence le rôle central des forces de police de l’État dans l’exploitation des riches ressources naturelles sur lesquelles son affluence s’est bâtie.
Le groupe de réponse Communauté-Industrie (C-IRG)
Aujourd’hui, alors que la crise climatique s’aggrave et que la résistance autochtone s’amplifie, la répression réactionnaire de l’État à l’encontre des défenseur·e·s de la terre est de plus en plus efficace et consolidée. La création du C-IRG (Community-Industry Response Group) est peut-être la démonstration la plus claire de la convergence des intérêts de l’État et de l’industrie. Le C-IRG est un détachement paramilitaire secret au sein de la GRC, spécialement créé en 2017 pour orchestrer la répression violente de la résistance autochtone contre les projets d’extraction de ressources en Colombie-Britannique. Jusqu’à présent, au moins 50 millions de dollars ont été dépensés au cours des six dernières années pour surveiller et repousser les défenseur·e·s des terres à Fairy Creek, la résistance menée par les Wet’suwet’en au gazoduc CGL, les manifestations de plusieurs Premières Nations contre l’oléoduc Enbridge Northern Gateway, la résistance de la Coast Salish Nation à l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, et la résistance au barrage hydroélectrique du Site C sur la rivière de la Paix.
Ce que l’on sait sur le C-IRG en Colombie-Britannique a été révélé par des demandes d’accès à l’information de journalistes d’enquête et par des recherches menées par des défenseur-e-s de la terre comme Molly Murphy. Le C-IRG a été décrit comme un groupe de “mercenaires” gratuit pour l’industrie pétrolière et gazière, engagés et payés avec l’argent des contribuables. Ce détachement spécial est composé d’agents “volontaires” de la GRC qui ont expressément proposé leur candidature pour travailler aux côtés de l’industrie privée afin de contrôler la résistance des autochtones à la construction d’oléoducs et à l’exploitation forestière. Certains d’entre eux sont payés 100 dollars de l’heure et travaillent 18,5 heures d’affilée. Ils enlèvent régulièrement leur badges nominatifs pour éviter d’avoir à rendre des comptes en cas de mauvaise conduite, en les remplaçant avec des badges “thin blue line”. Le groupe est financé par les gouvernements provincial et fédéral dans une proportion de 70/30. En d’autres termes, le C-IRG est un groupe ciblant spécifiquement les autochtones, hautement rémunéré et financé par l’État, qui fournit gratuitement des renseignements et une sécurité armée à réponse rapide aux propriétaires de compagnies pétrolières, gazières, forestières et minières.
L’une de leurs tactiques favorites est le “stimming”, une technique de guerre psychologique dans laquelle les policiers émettent des bruits inquiétants et allument des lumières vives à toute heure de la nuit dans les campements, parcourant ces derniers sans relâche afin d’empêcher le repos des défenseur·e·s de la terre. Cette technique vise à briser le moral des défenseur·e·s de la terre et à créer des tensions au sein du camp. Des projecteurs, des haut-parleurs, des caméras et d’autres capteurs sont braqués sur les campements des militant-e-s. Lors des confrontations, le C-IRG est également autorisé à utiliser des prises de soumission, y compris des prises au visage qui consistent à enfoncer les yeux des militant·e·s avec l’index et le majeur.
Les “partenariats public-privé” sont une façon de faire coloniale
La GRC collabore également étroitement avec des entreprises privées pour espionner les militant·e·s. À Fairy Creek, elle a aidé des agents de sécurité privés de la société forestière Teal Jones à infiltrer les camps d’activistes, qui ont ensuite mené des opérations secrètes et divulgué des renseignements de surveillance au C-IRG. Pour montrer jusqu’à quel point l’industrie et la police travaillent ensemble, à Fairy Creek, certain·e·s ont rapporté que des bûcheron·ne·s de la compagnie avaient physiquement plaqué au sol des militant·e·s, puis appelé des agents du C-IRG pour les arrêter formellement. En d’autres termes, les bûcheron·ne·s ont ouvertement agressé des individus en toute impunité afin de faciliter leur arrestation officielle.
La loi sur les injonctions est la meilleure arme de l’industrie d’extraction des ressources, car elle permet aux juges d’examiner chaque cas d’un façon isolé, sans tenir compte de la validité du droit autochtone traditionnel. Tout ce que l’entreprise doit faire, c’est démontrer qu’elle subira un “préjudice irréparable” si son projet n’est pas autorisé à avancer immédiatement. Pour obtenir une injonction, il n’est pas nécessaire de prendre en compte des dommages irréparables pour la vie humaine ou les terres autochtones, et il n’est pas nécessaire de prendre en compte l’impact sur l’environnement. La majorité des opérations du C-IRG consiste à faire appliquer de ces injonctions civiles illégitimes à la pointe du fusil.
Le C-IRG fait actuellement l’objet d’un examen par la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes (CRCC) après que la GRC ait reçu plus de 5000 plaintes dans les régions où le détachement était actif. Mais quelles que soient les tentatives de l’État pour réformer, renommer ou donner une nouvelle image à ces forces, nous ne devons jamais nous laisser berner: notre gouvernement capitaliste ne soutiendra jamais la réappropriation et la défense des terres dans aucun sens - il ne permettra jamais la propriété collective des forêts, montagnes et cours d’eau tant qu’il y aura plus de profits à tirer des mines, des projets de fracturation et des monocultures de bois.
N’attendons rien des élu·e·s
Pour celleux qui gardent l’espoir que l’élection d’un parti “progressiste” pourrait aider à retarder ou à inverser l’apocalypse climatique, il est bon de se rappeler que presque toutes les répressions violentes contre les groupes autochtones par le C-IRG en Colombie-Britannique ont été financées et soutenues par le Nouveau parti démocratique (NPD), qui détient un gouvernement majoritaire dans la province depuis 2017. En 2022, ce gouvernement a promis 230 millions de dollars de financement supplémentaire à la GRC pour augmenter les détachements de police rurale, reconnaissant l’importance accrue de la protection des projets massifs d’exploitation minière, forestière et de gaz naturel des capitalistes face à la résistance croissante menée par les autochtones.
Les élections démocratiques aux niveaux provincial et fédéral au Canada se sont avérées à maintes reprises être des campagnes de propagande très efficaces - ce sont des exercices qui servent exclusivement la classe capitaliste. Dans un système faussement démocratique conçu et contrôlé par les colon·ne·s capitalistes blancs pour servir les intérêts de l’extraction des ressources et de l’exploitation de la main-d’œuvre, il n’y a jamais eu et il ne pourra jamais y avoir de parti électoral qui tienne réellement compte des prérogatives autochtones. Les compagnies capitalistes sont rassurés de savoir que des mercenaires financés par l’État comme le C-IRG seront toujours là pour soutenir leurs projets de pipelines et d’exploitation forestière, quelle que soit la couleur des affiches accrochées dans le bureau de l’élu en place.
L’abolition et la protection de l’environnement sont un même combat
L’abolition de la police - et en particulier l’abolition de la GRC - est au cœur de la lutte contre l’écocide et le changement climatique. S’il est achevé, le gazoduc Coastal Gas Link de 670 km transportera 2,1 milliards de pieds cubes de gaz naturel vers des terminaux d’exportation sur la côte, pour être traités, exportés et brûlés (s’il n’est pas d’abord déversé dans l’environnement en cours de processus). Les exportations canadiennes de gaz naturel liquéfié montent en flèche grâce aux nouvelles possibilités de pénétration du marché offertes par la guerre en Ukraine, à tel point que de nouveaux terminaux d’exportation sont envisagés sur la côte est, la côte ouest et même au Québec.
Et maintenant, avec les tensions inter-impériales croissantes entre la Chine et les États-Unis, et l’opportunité d’écoblanchir la production de semi-conducteurs et de batteries, l’État canadien a arbitrairement qualifié plusieurs nouveaux métaux et minéraux de “critiques” et “essentiels”, de la même manière que le pétrole et le gaz avaient été qualifiés d’infrastructures critiques au milieu des années 2010. Cette désignation, associée au projet de loi C-51 de Stephen Harper, signifie que la résistance à l’extraction des combustibles fossiles est désormais considérée comme du terrorisme domestique, les défenseur·e·s de la terre autochtones et leurs partisan·ne·s étant qualifié·e·s de terroristes domestiques par les services de renseignement.
Alors que le Canada étend ses opérations minières nationales pour fournir des minéraux critiques pour les batteries et les semi-conducteurs “verts”, la promotion de ces mines en tant qu’infrastructures “critiques” permettrait à l’État de s’en prendre aux manifestant·e·s avec toute la force de son appareil de renseignement, de surveillance et de répression
Il existe un lien inextricable et de plus en plus évident entre l’abolition et l’écocide. L’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes climatiques font de l’abolition de la police une nécessité de plus en plus urgente, car les catastrophes climatiques et les bouleversements sociaux ne font que renforcer les tendances fascistes de l’État, comme l’a démontré la création du C-IRG. Pour rêver d’inverser ou même simplement de freiner notre déclin écologique précipité, et de ralentir la prolifération exponentielle des événements climatiques extrêmes, nous devons progresser rapidement vers l’abolition des forces armées qui ont permis aux capitalistes d’exploiter la terre depuis si longtemps.
Pour en savoir plus sur le C-IRG:
1. Abolish C-IRG: https://abolishcirg.org/
2. APTN (“Behind the thin blue line” - Brett Forester): https://www.aptnnews.ca/ourstories/cirg/
3. Briarpatch (“The C-IRG: the resource extraction industry’s best ally” - Molly Murphy): https://bitly.guru/OqSID
4. Briarpatch (“Real climate action means defunding the police” - Molly Murphy): https://bitly.guru/lhnCZ