Le transport en commun montréalais, autrefois présenté comme un symbole de la modernité urbaine, trébuche aujourd'hui sous le poids de ses propres faiblesses. Les retards, la couverture inadéquate des services et les tarifs élevés définissent les déplacements quotidiens de milliers de personnes, tandis que les personnes âgées et handicapées doivent naviguer dans un système indifférent qui reconnaît à peine leur existence. Ces problèmes récurrents sont aggravés par des années de sous-financement, un manque de réactivité face à l'évolution des besoins de la ville et une incapacité à desservir les communautés ouvrières qui en dépendent le plus. Au lieu de cela, les investissements gouvernementaux continuent de favoriser les infrastructures centrées sur la voiture – autoroutes plus larges, plus de places de parking – tandis que les transports publics deviennent un symbole de négligence. Le développement axé sur les transports en commun, qui promet certes des progrès, entraîne malheureusement trop souvent une hausse des loyers, des déplacements de population et des acquisitions foncières à des fins spéculatives, ce qui a pour effet d'évincer de leur quartier celleux qui dépendent le plus du système.

Le refus de la ville d'adopter la gratuité du transport en commun, malgré son succès dans d'autres régions, révèle une résistance profonde à accorder la priorité au bien public. Au lieu de cela, la Ville de soi-disant Montréal déverse de l'argent dans une sécurisation accrue, surveillant les usager·ère·s tout en réduisant la main-d'œuvre et les services dont iels dépendent. Les partenariats public-privé (PPP), qui dominent désormais les projets d'infrastructures, servent les profits plutôt que les besoins collectifs, créant ainsi un cercle vicieux de dépendance au capital. Ces échecs ne sont pas fortuits mais intrinsèques à un système qui privilégie l'intérêt des entreprises et le contrôle bureaucratique aux solutions communautaires. Le véritable changement n'interviendra que lorsque le pouvoir sera remis entre les mains des populations locales, ce qui permettra aux transports en commun de servir les gens et non plus les profits.

Les transports publics de soi-disant Montréal sont le reflet des inefficacités plus générales inhérentes à l'État-nation. La centralisation des décisions, dictées depuis des tours bureaucratiques éloignées de la vie quotidienne, a laissé les habitant·e·s à l'écart des systèmes censés les servir. Les échecs des transports publics ne sont pas isolés; ils sont symptomatiques d'une structure de pouvoir qui consolide l'autorité tout en coupant les réponses locales et spécifiques au contexte. En théorie, les transports publics devraient être une bouée de sauvetage démocratique, mais ils restent sous l'emprise de l'État – détachés et indifférents aux besoins uniques des quartiers de la classe ouvrière. Cette concentration du pouvoir réduit les résident·e·s à de simples navetteur·euse·s dans un système conçu sans leur contribution, où les décisions sont prises avec à peine plus que des consultations symboliques et des gestes en faveur de l'engagement public.

Au fond, la logique étatique qui sous-tend les transports publics donne la priorité au contrôle bureaucratique, à la rentabilité et à l'efficacité plutôt qu'à un véritable service utile à la population. Les plans de transport sont davantage façonnés par les intérêts des classes supérieures, reflétant un calcul froid de réduction des coûts et de privatisation qui aliène celleux qui comptent sur des options abordables et accessibles. Les politiques axées sur le marché et les mesures d'austérité privent les services publics de leur utilité et de leur qualité, renforçant une approche descendante qui valorise l'efficacité logistique au détriment des besoins humains. Dans ce cas, le transport devient un problème de déplacement des corps, plutôt que de garantir l'accessibilité, l'abordabilité et l'équité. L'État, dans sa quête d'ordre et de contrôle, a oublié les communautés qu'il était censé servir.

Face à la négligence de l'État, les communautés du monde entier élaborent leurs propres solutions de transport, en contournant le labyrinthe des obstacles bureaucratiques. À Mexico, les minibus informels gérés par des collectifs - connus sous le nom de peseros - comblent les lacunes d'un système de transport en commun sous-financé et surchargé. De même, à Nairobi, capitale du Kenya, le système Matatu offre des transports en commun abordables et flexibles, répondant aux besoins de la communauté plutôt qu'à des mandats imposés d'en haut. Ces réseaux de base sont non seulement pratiques, mais ils témoignent de la puissance du savoir local, en s'adaptant rapidement aux expériences réelles vécues par celleux qui en dépendent. À l'instar des systèmes coopératifs de partage de vélos de Copenhague ou de Bogota, ces alternatives informelles incarnent la possibilité de reprendre le transport des structures rigides de l'État, en offrant des solutions décentralisées et dirigées par la communauté que les systèmes gérés par l'État n'ont pas réussi à fournir.

Le sort des chauffeur·euse·s de navette bruxellois·e·s, qui exploitent des services de navette informels de porte à porte, met en lumière l'inégalité de traitement des travailleur·euse·s des transports en commun de base. Ces chauffeur·euse·s sont criminalisés parce qu'iels fournissent des services de transport essentiels et sont accusés de concurrence déloyale. Il semble que leur véritable infraction ne soit pas leur service, mais leur informalité - une alternative à faible technologie, alimentée par les gens, qui remet en question le récit préféré de la ville sur les solutions de mobilité élégantes et numérisées. Alors que les chauffeur·euse·s de navette endurent des conditions de travail précaires, des entreprises comme Uber sont célébrées pour leurs innovations « intelligentes », bien qu'elles emploient des pratiques similaires, voire plus exploitantes. Le contraste est flagrant : les acteurs de l'élite sont soutenus, tandis que les travailleur·euse·s qui incarnent le véritable transport communautaire sont marginalisés et poussés à la limite de la légalité.

Dans ce monde, l'informalité des entreprises est récompensée, tandis que la mobilité subalterne est criminalisée, ne laissant l'innovation accessible qu'à ceux qui peuvent se permettre de la marchandiser.

La criminalisation du transport informel révèle une déconnexion troublante entre la planification « top-down » et les réalités vécues par celleux qui dépendent de ces systèmes. Les planificateur·euse·s considèrent souvent ces modes de transport – qu'il s'agisse des okadas à Lagos, des mototaxis à Bogota ou des jeepneys à Manille – comme des reliques de l'inefficacité. Dans leur empressement à moderniser, formaliser et à décarboniser, les autorités ignorent le tissu social tissé autour de ces modes de transport – mécanicien·ne·s, artisan·e·s et vendeur·euse·s qui dépendent toustes de l'écosystème qu'iels alimentent. La contradiction cruelle réside dans le fait que, alors même qu'elles criminalisent ces systèmes, les autorités ne tiennent souvent pas leurs promesses d'alternatives modernisées, laissant les communautés dans l'impasse et leurs moyens de subsistance détruits. Apprendre de celleux qui vivent au sein de ces systèmes et en dépendent n'est pas seulement une voie vers la justice en matière de mobilité, c'est aussi le fondement d'une véritable justice environnementale – une justice qui se concentre sur les gens plutôt que de mépriser leurs solutions.

Ces alternatives, nés de la nécessité, incarnent un savoir local pratique qui prospère là où les plans étatiques échouent. Ils rejettent le mépris ancré dans la planification moderniste qui cherche à réduire le transport en commun à une équation stérile d'efficacité et de contrôle. Au contraire, ces efforts répondent aux besoins quotidiens et nuancés de la population, comblant ainsi les lacunes laissées par les transports en commun gérés par l'État. En démocratisant les transports en commun, ils reflètent un désir plus profond d'autonomie locale et de contrôle direct sur les services essentiels par la pratique de l'autogestion, offrant un aperçu de ce qui pourrait être réalisé si les communautés prenaient en charge leur propre transport, sans la lourdeur de l'ingérence de l'État.

Soi-disant Montréal, comme beaucoup d'autres villes, est mûre pour des réponses locales à ses lacunes en matière de transport. En s'inspirant d'exemples mondiaux, les résident·e·s pourraient former des coopératives de travailleur·euse·s pour contester le monopole de l'État sur les transports. Imaginez des systèmes de navettes gérés par des chauffeur·euse·s ou des vélos en libre-service dans les quartiers qui répondent aux besoins locaux, sans être encombrés par la bureaucratie. De telles initiatives pourraient s'épanouir au sein d'assemblées communautaires, où les habitant·e·s décideraient elleux-mêmes de l'affectation des ressources, ce qui permettrait de trouver des solutions plus réactives et plus souples aux problèmes de transport de la ville.  Les transports en commun deviendraient une ressource commune partagée, favorisant des liens plus étroits au sein des quartiers tout en réduisant la dépendance à l'égard d'un contrôle étatique « top-down ».

Le potentiel de la ville en matière de réseaux de transport décentralisés et gérés par la communauté fait écho à la critique plus large de la planification centralisée de l'État. L'abandon du modèle rigide et universel imposé par la STM au profit de réseaux d'entraide gérés localement – covoiturage et services autogérés par les voisin·e·s – pourrait transformer la façon dont les habitant·e·s se déplacent dans leur ville. Enracinés dans les principes de la démocratie directe, ces systèmes seraient plus agiles et plus adaptés aux besoins immédiats des zones mal desservies, contournant les inefficacités et l'aliénation engendrées par l'approche ultramoderne de l'État. Dans cette vision, le transport populaire n'est pas seulement un moyen de se déplacer, c'est une opportunité de réimaginer la vie urbaine elle-même.

 

Références et lectures complémentaires

Bookchin, Murray. From urbanization to cities: Toward a new politics of citizenship. Cassell, 1995.

Planners Network. Disorientation Guide. 2nd ed., 2024.

Scott, James C. Seeing like a state: How certain schemes to improve the human condition have failed. Yale University Press, 2020.

William Boose and Benjamin de la Peña. “Popular Transportation: Where Planning for Environmental Justice Hits the Pavement.” Progressive City, November 2022. 

Wojciech Kębłowski and Lela Rekhviashvili. “Moving in Informal Circles in the Global North: An Inquiry into the Navettes in Brussels.” Geoforum 136, November 2022.