À travers ce journal, on a vu pourquoi l'aménagement du territoire et le système de transports actuels nous rendent dépendants de l'auto. On a aussi vu les limites des transports collectifs d'aujourd'hui, ainsi que les pièges à éviter pour rendre ces services réellement accessibles à toustes dans l'avenir. Mais par où commencer pour renverser la culture du char?
Saboter
On hérite collectivement d’une horde de machines dignes d’une autre ère. Les carrosseries surdimensionnées des chars à essence, au diesel ou à l’électricité accaparent l’espace des villes et des campagnes. Si tout fonctionne comme prévu, non seulement tous ces squelettes sont-ils là pour rester jusqu’à la fin de leur vie active, mais les usines qui les ont fabriqués continueront elles aussi à tourner à plein régime tant et aussi longtemps qu’elles tiendront sur pied, rejetant dans nos milieux de vie un flot ininterrompu de véhicules individuels.
Il n’arrivera pas, ce moment tant attendu où ces usines fermeraient d’elles-mêmes sans aucune autre pour les remplacer. Si l’on souhaite voir un jour les villes sans le vrombissement des moteurs et les tonalités des batteries, si l’on souhaite voir l’espace être utilisé par des êtres vivants et non par des carrosseries vides ou semi-vides, il nous faut empêcher l’expansion de l’industrie automobile en s’attaquant directement à son infrastructure.
On a la chance d’avoir une variété d’options. La chaine de production de l’automobile est longue, et nous offre autant d’opportunités pour la perturber. Usines de pièces, de batteries et de véhicules, trains et camions transporteurs, concessionnaires, stations d’essence et de recharge: ce sont tous des points névralgiques où des perturbations menacent de se répercuter à travers l’industrie.
On se doit également de dissiper l’illusion d’invincibilité que donne l’armature de métal à ses conducteur·rice·s. Protection ne rime pas avec impunité. Des conducteur·ice·s menaçant des cyclistes et des piéton·ne·s par des manœuvres dangereuses ou par une nonchalance inconsciente ne sont pas voué·e·s à être exempté·e·s de toute conséquence – voir l'article « Terrasser la culture du char à grands coups de Kryptonite », dans le dernier numéro. Même les voitures les plus imposantes ont leurs points faibles.
Se réapproprier
Il n’y a pas à attendre que le capital fossile soit tombé et que le règne de l’auto-solo soit terminé pour se réapproprier les espaces de vie et les moyens de transport.
L’accessibilité pour toustes au transport en commun n’est qu’à un saut de tourniquet près. Normalisons l’accès libre au transport en commun et protégeons nos camarades sauteur·euse·s de la répression policière. Signalons les contrôleur·euse·s dans les groupes de messages créés pour l’occasion et contribuons à rendre l’accès libre au transport en commun plus sécuritaire et accessible. Et pour le logement, squattons les immeubles abandonnés, les domaines des riches près des stations. Près des bus et des métros, protégeons les locataires des expulsions et des rénovictions. Faisons la grêve des loyers pour éviter la gentrification. Faisons valoir la nécessité de la gratuité par la pratique!
Appeler à la grève des tarifs en décidant collectivement de ne plus payer le bus et le métro peut aussi devenir une véritable action collective. Inspirons-nous d’un groupe de jeunes anarco-syndicalistes à Stockholm qui, au début des années 2000, ont utilisé cette tactique pour réclamer la gratuité du transport, la propriété collective du système de transport et sa gestion par les travailleur·euse·s. En plaçant des collants dans les stations de métro, le mouvement nommé Planka.nu (traduit par Grèvedetarif.maintenant) encourageait les communautés à se réapproprier directement le transport. Ça donne des idées?
Quant à l’espace du dehors: ça semble peut-être normal que les autoroutes s'étendent de plus en plus. Mais si y'a moins de chars, les autoroutes servent plus à rien, non? Transformons les autoroutes en voies de transport en commun! Ça semble peut-être normal qu’une grande partie des villes soit remplie par des voitures. Pour se donner une idée, à Montréal/Tiohtià:ke/Moonyiang, c’est près de 75% de la voirie qui est consacrée aux voitures.1 Il suffit pourtant d’essayer de remplir une seule place de stationnement avec du mobilier de jardin pour voir qu’une seule auto stationnée en moins pourrait laisser place à une terrasse tout entière. Les possibilités alternatives de ces espaces de stationnement sont infinies: terrasses communautaires, jardins collectifs, racks à vélos, jeux de marelle… Il ne reste plus qu’à en prendre possession.
Collectiviser
Enfin, et parce que le besoin de se transporter ne disparaitra pas de sitôt, il faut urgemment mettre en commun les ressources disponibles. Se mettre en commun pour trouver des solutions, ensemble.
Pour diminuer le besoin d’autos, pourquoi ne pas en partager une avec ses colocs, sa famille ou ses voisin·e·s? Pourquoi ne pas faire la même chose avec les vélos cargos, les remorques, les trottinettes? Le pick up du village, tant qu’à y être!
Pour diminuer nos déplacements, pourquoi pas faire revivre les marchés et les commerces de quartier? Revitalisons les fruiteries, les cordonneries, les fripperies, les cliniques, les cafés et les cinémas dans chaque quartier, histoire de ne plus dépendre d'un centre-ville lointain empesté de banques pis de multinationales. Personne n'aime aller au Marché Central, au Centre Eaton ou au DIX30 de toute façon. Pourquoi pas encourager ses voisin·e·s et leur magasin d'la rue piétonne?
Pourquoi pas se mettre en commun pour partager nos outils aussi, et nos connaissances, pour réparer nos vélos et les autres moyens de transport ensemble? Partager les connaissances, développer nos compétences pour se familiariser avec la mécanique et développer notre résilience collective. Changer des pneus, des câbles de freins, échanger des cadres, des guidons, des conseils, un peu de temps ensemble, peut-être?
S’assurer que toute et chacune ait les moyens de se déplacer, pour se diriger ensemble vers un avenir radicalement juste, viable et collectif.
À l'action!
On peut résister à la logique destructrice du capital. Les investissements massifs dans l'industrie automobile sont omniprésents: les cibles sont partout autour de nous et sont très vulnérables. En s'opposant à la culture du char – à essence comme à batterie –, on est solidaires des groupes autochtones qui protègent leurs terres de l'exploitation minière. En luttant activement pour des transports collectifs et actifs gratuits, étendus, accessibles et autogérés, on s'attaque directement au marché capitaliste en sapant toute opportunité de profits. On s'attèle aussi à fonder un transport pour toustes, tout en améliorant nos capacités de résistance collectives.
Joins-toi à la lutte!
Des syndicats aux organisations environnementales, une foule de groupes s’organise présentement pour un meilleur transport en commun. Rage Climatique fait partie de ces luttes, et s’organise de manière égalitaire et horizontale dans une perspective écologiste, anticapitaliste, anticoloniale, antipatriarcale et antioppressive. Tu peux nous rejoindre à rageclimatique @ riseup point net. Au plaisir de te rencontrer et de joindre nos efforts communs!
Notes
1. Lefebvre-Ropars, G., Morency, C. et Negron-Poblete, P. (2021) Caractérisation du partage de la voirie à Montréal. Note de recherche, Polytechnique Montréal, 15 pages. https://www.polymtl.ca/mobilite/publications