Le transport en commun gratuit, ce n’est pas une utopie, mais est-ce que c’est la panacée? Il y a beaucoup d’aspect positifs à demander la gratuité, mais dans un système capitaliste, il faut rester vigilant·e·s, car cette revendication pourrait être réappropriée par les riches. Voici quelques exemples d'effets secondaires néfastes qui pourraient survenir, où une gratuité ne serait pas transformatrice: la gentrification et le renouveau urbain; le maintien de formes de contrôle, de sécurité et de collecte de données; une tarification qui vise l’égalité et non l’équité; l’expansion des services sans démocratie directe, ou encore la continuation de la « cohabitation » avec les véhicules.

Tout d'abord, le développement d'un transport en commun gratuit peut entrainer des effets collatéraux, comme une hausse des loyers autour des axes du réseau, ceci fait parti de la gentrification. La gentrification est le déplacement lent ou rapide de quartiers, personnes et/ou communautés par la spéculation et l’embourgeoisement. Tel que démontré dans la bande dessinée de ce journal, la principale cause de la gentrification est la captation de valeur. Au grand dam des locataires, les propriétaires riches ou les corporations vautours achètent des logements essentiellement pour faire des profits. Avec la gratuité viendrait un intérêt croissant pour les secteurs près des stations du transport en commun, maintenant gratuit. Le concept de développement orienté vers le transport –​​​​​​​ transit-oriented development ou displacement qui traduit mieux son effet perturbateur – sera alors déployé par les urbanistes, amenant un renouveau urbain et une densification de ces quartiers. Souvent invoquée comme une façon de contrer l’étalement urbain, la densification ne donne malheureusement aucune garantie que les habitant·e·s ne seront pas déplacé·e·s et que les coûts des loyers ne monteront pas en flèches. Pour une ville, le maintient du droit de ses habitant·e·s à rester dans leurs quartiers est confronté au revenu de la taxe foncière, qui reste pas mal la seule façon de maintenir l'appareil municipal sans demander à « Papa État » de financer.

Un exemple souvent cité est Tallinn, capitale de l'Estonie, où la gratuité a été instaurée et fut considérée un succès - augmentation de l'achalandage, migration vers la ville, retombée économiques. Cependant, certains aspects sont souvent passés sous silence, comme le fait que la gratuité n’est que pour les résident·e·s enregistré·e·s de la ville. Ça veut dire que tout l’appareil de contrôle – les titres, les inspecteurs·trice·s, la police, les caméras et autres formes de forces oppressives – est maintenu, afin de s'assurer que les personnes non enregistrées soient exclues de ce privilège. D'autres systèmes de transport collectifs comme celui de soi-disant Montréal renforcent également la présence policière dans le réseau, et augmentent leur financement drastiquement – voir l'article « Le stationnement, c'est politique! » pour plus d'informations sur ce sujet. Obtenir la gratuité partielle à travers les mêmes lignes de marginalisation que le système capitaliste racial et colonial ne serait aucunement une voie de libération collective, ni une réelle transformation radicale et inclusive. De plus, la collecte systématique de données personnelles, les caméras aux passages, jusqu’à la collecte d’informations biométriques, sont souvent citées comme la nouvelle ruée vers l'or. Les corporations se frottent les mains au potentiel de voir les données personnelles du public s’accumuler pour mieux vendre leurs produits et services, mais aussi pour que l’État envoie ses chiens policiers vers les fautif·ve·s et, qui sait, établisse un système pour avoir des citoyen·ne·s parfait·e·s.

Contrairement à ce que prétendent les capitalistes, la gratuité n’est pas gratuite et certain·e·s devront payer la facture en bout de ligne. Certains champions de la gratuité, comme les municipalités, transfèrent leurs dépenses aux membres des classes moyennes propriétaires de voitures – taxe kilométrique, taxe sur l’immatriculation, taxe transit, postes à péage, etc. –  et de résidences, via la taxe foncière. Cette technique, qui implique de taxer autant les riches que les moins nantis, sans aucune progression en fonction du revenu, n'est aucunement nouvelle. En plus d'être inéquitable, elle risque de générer de la frustration contre les transports en commun, souvent accusés à tort de coûter cher aux contribuables. De plus, dépendre de taxes sur la propriété privée, de logements ou de véhicules, pour assurer une base financière aux municipalités force le maintien de ces propriétés privées à grande échelle. Par conséquent, on devine que la Ville ne voudrait pas voir le nombres de véhicules diminuer, par crainte de perdre les revenus de la métropole.

La Ville de Montréal a déjà donné la gratuité des transports en commun, mais sans surprise, elle s'est assurée d'y imposer des limites claires. Deux exemples: pour une seule journée en 2019, le 27 septembre, jour de la manifestation pour le climat, ce qui ressemble plus à de l'écoblanchiment qu'à une réelle promesse d’un pas vers la gratuité. En 2022, c'était lors des weekends de l'été et les stations choisies étaient toutes au centre-ville, n’aidant aucunement les quartiers où le coût des passages est vraiment une barrière. Ceci est un bon exemple du danger d’une gratuité qui est donnée par un État néolibéral, tout comme l’exemple de Tallinn, où c’était le cas avec toutes ses lacunes. Alors qu'on pourrait croire que tout est gagné, les inégalités persistent généralement lorsque les usager·ère·s n'ont pas pris part au processus. Une gratuité des transports octroyée par l’État sans combat enlève aussi la possibilité de transformer les dynamiques de pouvoir, de voir les gens prendre une part plus importante dans les décisions concernant leur vie et l'endroit où iels habitent, vivent et interagissent.

Finalement, étant donné l’argument de la dépendance à la taxation des véhicules mentionné plus haut et la culture du char, il serait très probable que la gratuité des transports en commun soit faite de manière à maintenir la place actuelle des véhicules dans les milieux urbains et ruraux. En plus de ne pratiquement rien changer à la pollution, ceci maintiendrait les risques de se faire invecter, pousser, voire écraser par ces monstres de métal – mais bientôt juste électriques, yé! Encore là, on parle d’une ville qui serait encore recouverte de trop d’asphalte et de béton, pour faire place au char. L’apocalypse climatique demeurerait en chemin, provoquant plus d’inondations, plus d’îlots de chaleur et plus de morts, mais on aurait au moins réussi à se déplacer sans frais… !

D'autres exemples existent pour montrer comment la gratuité des transport en commun peut être limitée et même augmenter l'oppression des populations déjà marginalisées. L'important à retenir ici est de considérer un transport en commun gratuit, étendu et accessible comme un des points de libération collective à lier avec d'autres enjeux vers une réelle transformation radicale et inclusive.