Derrière la course effrénée à développer la filière batterie et à se positionner comme chef de file dans «l’économie verte» se cachent toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement et de transformation des soi-disant «minéraux critiques et stratégiques» (MCS) nécessaires à ces batteries. Si l’extraction du cuivre, du graphite, du niobium, du zinc, du cobalt, du nickel, du titane et du lithium amènent leur lot de problèmes socio-environnementaux dans le monde, l’étape de transformation industrielle du minerai au minéral n’est pas non plus sans conséquence. La destruction environnementale, le développement de maladies liées à la pollution de l’air et la fragilisation du tissu social sont communs sur les territoires qui accueillent ces activités. Ce programme est à l’ordre du jour des villes industrielles périphériques telles que Rouyn-Noranda ou Sudbury qui accueillent respectivement des fonderies de cuivre et de nickel sur leur territoire depuis près de 100 ans. Le développement de la filière batterie promet d’allonger la vie de ces fonderies désuètes et dangereuses.

Contrecoups attendus d’une filière batterie québécoise pour Rouyn-Noranda

Ainsi, pendant que les classes politiques et dirigeantes s’inquiètent de la place de l’Abitibi-Témiscamingue dans la filière batterie au Québec1, la population de Rouyn-Noranda, et encore plus celle du quartier Notre-Dame, située au pied de la Fonderie Horne, se questionne elle quotidiennement sur la qualité de l’air qu’elle respire. C’est que la fonderie établie sur les berges du lac Osisko, en activité depuis 1926, est reconnue comme une des usines les plus polluantes au Québec2. Elle a d'abord été bâtie pour fondre le minerai contenant du cuivre extrait sur place, mais accueille maintenant des minerais et des déchets électroniques de partout dans le monde depuis la fermeture de la mine Noranda en 1976. Elle est aujourd’hui la propriété de la société multinationale Glencore, géant mondial du secteur des mines, de la corruption, des pratiques antisyndicales et de l’évasion fiscale3,4. Sa principale fonction est de transformer les roches et du concentré de cuivre pour produire des anodes faites à 99% de cuivre. Ces anodes sont ensuite envoyées à Montréal à l’affinerie CCR, aussi une propriété de Glencore, pour être purifiées à 99,99% et sortir sous forme de cathode. C’est sous cette forme que les métaux sont usinés en feuilles de cuivre dans des usines comme celle de Solutions énergétiques Volta Canada qui a ouvert récemment à Granby5 avant d’entrer dans la fabrication de batteries, comme ce serait le cas chez Northvolt.

Outre la réputation multigénérationnelle de la fonderie d’être un piètre employeur, la succession de problèmes liés aux polluants atmosphériques qu'elle a causés ont marqué l’histoire de Rouyn-Noranda. Dans les années 1970-1980, les syndicats et groupes communautaires ont documenté une prévalence des cancers du poumon chez les employé·e·s et les résident·e·s du quartier. La population s’est mobilisée dans les années 1980-1990 pour que la fonderie cesse ses émissions de soufre, principale responsable de pluies acides dans la ville6. Récemment, c’est la découverte du haut taux d’arsenic chez les enfants de l’école primaire du quartier Notre-Dame qui a démarré un nouveau cycle de mobilisation contre les émissions polluantes de la fonderie7. Depuis quelques années, la fonderie Horne est la seule fonderie au monde à avoir le droit de fondre du minerai de cuivre contenant des éléments dangereux, tels que l’arsenic, le plomb et le cadmium. Elle bénéficie d’un environnement législatif permissif qui lui offre la possibilité d’émettre des polluants atmosphériques bien au-delà des seuils jugés acceptables par la santé publique. De plus, la Fonderie Horne se traîne les pieds pour moderniser ses installations centenaires vétustes, source importante de pollution atmosphérique. La Fonderie Horne reconnaît elle-même que la concentration en arsenic des intrants ne permet pas à elle seule d'expliquer les pics de pollution enregistrés par les stations de suivi atmosphérique à Rouyn-Noranda8. Elle attend ultimement que les gouvernements viennent à sa rescousse pour subventionner de nouvelles installations, comme ce fut le cas dans les années 1990 lors de la construction de l’usine de transformation d’acide sulfurique censée éliminer les pluies acides9.

Une chaîne de transformation mondialisée

La Fonderie Horne n’est pas la seule installation industrielle pouvant transformer les MCS. Même si les fonderies et affineries sont plutôt rares à travers le monde, elles sont tout de même soumises à une compétition internationale pour l’abaissement du coût du travail, des normes sociales et environnementales, et des redevances fiscales. Cette compétition se fait invariablement sur le dos des populations locales et des territoires qui subissent une pression accrue. Les accords de libre-échange qui se sont multipliés durant le dernier siècle ont fortement contribué à réorganiser les chaînes de production, aidées par le maintien du prix des carburants relativement bas et l’élargissement continuel de la capacité des porte-conteneurs. L’extraction des ressources, l’affinage et la transformation en produits finis passent souvent d’un continent à l’autre pour profiter des législations les plus permissives et des subventions publiques les plus généreuses à chaque étape de la chaîne. Si la Fonderie Horne se démarque par ses normes environnementales extrêmement permissives, elle fait preuve de parent pauvre de la rentabilité immédiate des actionnaires avec les salaires très élevés de ses travailleurs et travailleuses à l’échelle mondiale. Dans la course effrénée à la rentabilité pour les actionnaires de Northvolt ou de Glencore, aucun encadrement n’est garanti sur la provenance des approvisionnements en matières premières. Il ne serait donc pas étonnant que les batteries de voitures «vertes» produites à Saint-Basile-le-Grand utilisent des métaux transformés à plus faible coût à des milliers de kilomètres, transportés sur des porte-conteneurs géants alimentés aux énergies fossiles.

Le caractère «critique et stratégique» des minéraux

C’est surtout selon une logique impérialiste, plus que pour lutter contre les changements climatiques, que les puissances occidentales précipitent la «transition énergétique» de nos sociétés par le développement d’une filière batterie. La sécurisation des approvisionnements en MCS, l’utilisation des fonderies soi-disant championnes du recyclage industriel, le développement de technologies de fabrication et de recyclage des batteries et surtout la propriété intellectuelle de ces procédés devient une priorité pour les États. Que nos gouvernements investissent autant d’argent et d’énergie dans cette entreprise dénote surtout que le caractère «critique et stratégique» des minéraux porte sur la pérennité d’un capitalisme dominé par les sociétés euroaméricaines. Après tout, si l’avenir de l’humanité passait par l’électrification des transports, ne serait-il pas dans notre intérêt collectif que ces procédés industriels et ces technologies de pointe soient disponibles et accessibles pour tous et toutes? Si tel était le cas, pourquoi les États-Unis, le Canada et leurs alliés imposent-ils des sanctions économiques en bloc à tous leurs compétiteurs, tout en protégeant les sociétés multinationales donneuses d’ordre dans le domaine? La chaîne de transformation des minéraux en batteries se fonde sur les rapports de domination à l’échelle mondiale et les renforce.

La Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, concentre une grande partie des réserves mondiales de lithium dans le salar d’Uyuni, un minéral indispensable pour les batteries de voiture électrique. Un gouvernement socialiste et autochtone est à la tête de cet État presque sans interruption depuis 2006 et s’oppose ouvertement à l’hégémonie des États-Unis. Au lieu de miser sur l’extraction et l’exportation du lithium par des sociétés multinationales, le pays a nationalisé le secteur pour contrôler l’ensemble des étapes de production de batteries sur son sol afin de capter une plus grande part des revenus dans son trésor public10. Or, les entreprises occidentales ont multiplié les entraves pour empêcher la Bolivie de développer ce secteur : de la formation des spécialistes aux transferts technologiques, les entreprises nationales ont dû miser sur leurs propres moyens pour transformer le lithium et produire des batteries. Le coup d’État mené par la droite radicale en octobre 2019, appuyé par les États occidentaux et salués par des milliardaires tel Elon Musk, marque une ultime tentative par les élites économiques de reprendre le contrôle du secteur11. Depuis le retour des socialistes au pouvoir après les élections d’octobre 2020, le lithium bolivien reste boudé par les sociétés multinationales.

Lorsque les pressions économiques sont insuffisantes, c’est par la force que les États occidentaux sécurisent la chaîne d’approvisionnement et de transformation des minéraux que l’on retrouve dans les batteries. Tant l’intervention récente des puissances occidentales au Yémen que l’invasion du territoire des Wet'suwet'en nous rappellent que le maintien des voies maritimes et de l’infrastructure énergétique nécessaires au commerce mondial vaut plus cher que des vies aux yeux de nos gouvernements (particulièrement lorsqu’elles sont autochtones ou arabes). Après tout, la militarisation de la police et le réarmement généralisé répondent aux contradictions d’une économie fondée sur l’accumulation infinie du capital à une époque où les crises sociales et environnementales se mêlent et se multiplient. Pendant ce temps, la pression s’accentue sur les territoires où les MCS sont plus rares et difficilement accessibles, ainsi que dans les usines de transformation désuètes et dangereuses. Dans les législations plus favorables aux intérêts des multinationales donneuses d’ordre, les claims miniers, les activités de prospection, la construction d’infrastructures destinés à l’exportation, la transformation des minéraux et la fabrication de produits finis se multiplient à coups de milliards de subventions avec un coût social et environnemental élevé, le plus souvent sur des territoires autochtones non cédés, sur les meilleures terres agricoles ou près des centres de population.

Les politiciens, les patrons et les lieux de production ont des noms et des adresses

Heureusement pour nous, le caractère complexe et imbriqué de la chaîne de transformation des MCS nous rappelle qu’il est relativement facile de perturber son fonctionnement. Lorsqu’il est difficile d’empêcher la construction de l’usine Northvolt, il est toujours possible de bloquer un axe de transport. Rappelons-nous qu’il y a une raison pour laquelle chaque grève de débardeurs fait les manchettes : cela attaque directement les profits des sociétés multinationales. Même si elles s’approvisionnent ailleurs dans le monde, rappelons-nous que des usines de transformation sont accessibles à Montréal, Granby et Rouyn-Noranda, et qu’elles sont vitales pour l’approvisionnement de Northvolt. En bloquer une peut toutes les perturber. Enfin, des liens peuvent se tisser à l’international avec les communautés devant composer avec les conséquences des fonderies et des affineries de Glencore.

Notes

  1. Cotnoir, Jean-Michel et Annie-Claude Luneau. (2023, 28 septembre). Quelle place pour l’Abitibi-Témiscamingue dans la filière batterie au Québec? Radio-Canada.
  2. Gerbet, Thomas. (2022, 15 juillet). Fonderie Horne : des tonnes de contaminants différents retombent sur Rouyn-Noranda. Radio-Canada.

  3. Lubeck, Andrea. (2022, 7 juillet). Fonderie Horne: 4 choses à savoir sur Glencore, la multinationale derrière l’usine de Rouyn-Noranda. 24 heures.

  4. Pratte, Colin. (2022, 22 juillet). Glencore et la Fonderie Horne: un enfer sanitaire… et fiscal (1). Institut de recherche et d’informations socioéconomiques.

  5. Saint-Arnaud, Pierre. (2023, 5 septembre). Une usine de feuilles de cuivre pour batteries de véhicules à Granby. Le Devoir.

  6. Céré, Pierre. (2023). Voyage au bout de la mine. Écosociété.

  7. Dehaies, Thomas. (2019, 7 mai). Une présence élevée d’arsenic chez les enfants du quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda. Radio-Canada.

  8. Belzile, Jean-Marc. (2024, 29 janvier). La Fonderie Horne n’ira pas en appel et accepte de dévoiler ses intrants. Radio-Canada.

  9. Céré, Pierre. (2023). Op. cit.

  10. Mariette, Maëlle. (2020, 1er janvier). En Bolivie, la filière lithium à l’encan. Le Monde diplomatique, 23.

  11. Zapata, Verónica. (2020, 30 juillet). Elon Musk et le coup d’État bolivien au lithium : la ressource stratégique de l’avenir. Pressenza.