Depuis un siècle, la voiture individuelle représente le summum de la consommation ostentatoire et le moteur d'un développement capitaliste écocidaire. L'expansion intensive des banlieues tentaculaires du soi-disant Québec et du reste de l'Amérique du Nord, marquées par les magasins à grande surface et les centres commerciaux, est rendue possible par la production et la consommation de masse d'automobiles. La normalisation de notre dépendance au char est assurée par les investissements de l'État dans les infrastructures et le zonage centrés sur la voiture.

Les véhicules électriques ne feront qu'exacerber cette logique d'utilisation intensive des ressources et d'étalement urbain en renforçant encore cette dépendance à l'égard du char. L'électrification du parc automobile agit comme une aumône de l'État aux marchés capitalistes, qui prospèrent grâce à l'achat d'automobiles, de biens de consommation liés à la voiture et à l'évaluation immobilière d'étendues toujours plus vastes de terres périurbaines.

Les déplacements en auto continuent de croître, le nombre de voitures au soi-disant Québec augmentant de 2,5 millions entre 2011 et 2021. Avec une population de 8,6 millions d'habitant·e·s, la province compte désormais près de 7 millions de voitures, soit près d'un véhicule par Québécois·e en âge de conduire. Un aspect critique de la culture du char qui est trop souvent négligé est l'impact terrible des stationnements sur les écosystèmes naturels, les changements climatiques, la marchabilité et la qualité de vie.

Les places de stationnement, tout comme les autres types d'infrastructures routières, sont conçues pour pouvoir accueillir les usagers pendant les périodes de pointe. Cela signifie que chaque automobile nécessite environ quatre places de stationnement dans un environnement urbain : une à la maison, une au travail et deux autres dans des lieux périphériques tels que les centres commerciaux et autres.

On estime à 2,8 millions le nombre de places de stationnement dans la région du « Grand Montréal », dont environ 1,2 million sur l'île elle-même, selon un rapport du ministère des Transports.1 Le stationnement sur rue occupe 27 % de la chaussée montréalaise, soit 12 fois plus d'espace que les voies réservées aux autobus et aux cyclistes, sans compter le vaste pourcentage de l'Île réservé aux stationnements hors rue. On estime à 32,5 mètres2 la surface de stationnements, de voies d'accès, d'allées et d'aménagements paysagers qu'une seule voiture exige. Avec un total estimé de 25 kilomètres carrés3 d'espace urbain consacré au stationnement, c'est un peu plus de 5 % de l'île de soi-disant Montréal qui est actuellement consacré à ces espaces morts et pavés, soit l'équivalent de 9 fois la superficie du parc du Mont-Royal!

Tout ce stationnement est de l'espace volé aux écosystèmes. Voyons comment les zones asphaltées transforment la gestion de l'eau et l'absorption de l'énergie solaire, tout en segmentant les écosystèmes. Tout d'abord, les stationnements ne sont pas perméables, ce qui signifie que l'eau de pluie doit être évacuée, généralement autour ou sous le parking. C'est une cause directe de crues soudaines : au lieu d'être absorbée par la terre et les plantes, l'eau doit être directement acheminée vers une rivière. Il est évident que plus nos villes deviennent imperméables, plus les égouts pluviaux sont sollicités, alors que les changements climatiques augmentent la fréquence et l'intensité des précipitations. Le ruissellement des eaux pluviales le long de ces vastes étendues d'espaces de stationnement pavés augmente l'écoulement de polluants dangereux, de nutriments en excès et de sédiments dans les cours d'eau et les bassins hydrographiques dont nous dépendons pour nos besoins vitaux.

La gestion de l'énergie solaire par les stationnements est également préjudiciable à la fonction de l'écosystème. Au lieu de faire croître les plantes par photosynthèse, le rayonnement solaire est absorbé par le revêtement, ce qui crée des immenses îlots de chaleur, situés de manière disproportionnée dans les quartiers les plus pauvres de la ville.
Enfin, les grands stationnements créent des zones mortes qui fragmentent l'habitat, repoussent la faune urbaine et empêchent le croisement de populations d'animaux, des marmottes aux écureuils, qui sont plus enclavées et sujettes à la consanguinité.

Un autre problème majeur est que les espaces de stationnement sont une menace pour les êtres humains eux-mêmes, une étude rapportant que 7 % de tous les accidents annuels se produisent dans les parkings. Plus la surface consacrée au stationnement et à l'infrastructure automobile est importante, moins nos quartiers sont praticables à pied et à vélo. Il faut en effet affronter de vastes étendues de béton dangereuses et visuellement monotones, simplement pour répondre aux besoins fondamentaux de la vie, comme faire ses courses, se rendre au travail ou rendre visite à un ami. L'espace de béton tentaculaire consacré aux parkings devient un obstacle physique et psychologique au transport actif, ce qui a pour effet pervers d'augmenter l'utilisation de la voiture.

Enfin, le stationnement n'est qu'une autre façon cachée de taxer les pauvres. Sur l'île de soi-disant Montréal, 91% des places de stationnement sur rue sont gratuites4, tandis que les autres ne sont facturées qu'à un pourcentage de leur coût, si l'on inclut la valeur du terrain, le déneigement et l'entretien. Les coûts sont estimés à 1250$ par stationnement5, alors que le Plateau vient de hausser ses prix de stationnement pour les VUS à 488$. Au total, ce sont des centaines de millions qui sont investis chaque année pour les stationnements sur rue dans une ville où 29% des ménages ne possèdent pas de voiture. Comme les taxes municipales représentent environ la moitié du montant autorisé pour une augmentation de loyer, on paie de notre poche la destruction des espaces verts pour faire de la place aux voitures.

Les stationnements sont des espaces morts et inutiles qui n'ont pas leur place dans un monde en feu ravagé par le changement climatique. Si la végétation reprenait ne serait-ce que 50 % de la surface des stationnements en Amérique du Nord, la terre serait en mesure de capter des milliards de mètres cubes d'eaux de ruissellement, sans parler des millions de tonnes de CO2 chaque année, tout en donnant l'occasion de reconstruire des communautés vivables, praticables et respirables, et de rétablir des relations de réciprocité avec la terre. Les gens ne conduisent pas parce qu'ils détestent la nature, mais parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de se déplacer. La lutte pour un transport pour toustes, gratuit, accessible et étendu, est le meilleur moyen de réduire l'utilisation de la voiture dans les villes et au-delà.

Notes

 

Encadré : « Comment faire ses courses si on n'a pas de voiture ? »

Le stationnement crée un mode de vie qui dépend des voitures pour le transport, ce qui fait croire aux gens que la vie sans voiture est impossible. Par exemple, dans de nombreux quartiers de soi-disant Montréal, de Parc-Extension à Rosemont et Villeray, de nombreux marchés n'ont pas d'aires de stationnement et sont fréquentés principalement par les habitants du quartier. À l'autre bout du spectre, Costco et Maxi visent les besoins des personnes qui peuvent se permettre de ne faire qu'un seul voyage par semaine à l'épicerie. En effet, si vous avez besoin de 10 à 15 minutes pour garer votre voiture au centre-ville, vous n'allez pas à la boulangerie le mardi en allant au travail et au marché le mercredi en revenant de la salle de sport. Au lieu de cela, vous vous rendez dans un seul et même endroit où vous trouverez un vaste choix d'aliments transformés.

Ces chaînes d'épiceries sont vraiment problématiques car elles sont le principal vecteur de la mondialisation des marchés alimentaires. Lorsque vous vendez des aliments transformés par centaines de palettes chaque semaine, vous avez tendance à délocaliser la production vers des pays où les coûts de production sont beaucoup plus bas, pour ne citer que les cornichons produits en Inde. Pourtant, les concombres poussent très bien au Québec et les marinades étaient une façon de conserver les légumes pour l'hiver. Les transports modifient non seulement la façon dont nous nous déplaçons, mais aussi ce que nous mangeons, il suffit de penser aux commandes à l'auto...