Le REM est le fruit du travail de deux hommes, Michael Sabia, actuel PDG d'Hydro-Québec et ancien directeur de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), et Philippe Couillard, premier ministre du soi-disant Québec de 2014 à 2018. Denis Coderre, maire de soi-disant Montréal avant Valérie Plante, a contribué à la campagne médiatique qui a entouré sa naissance, et Plante elle-même s'était montrée enthousiaste au projet à l'époque. Sept ans plus tard, elle est la seule des fondateur·trice·s du projet du REM à être toujours en poste. Les autres sont parti·e·s, comme le font les politicien·ne·s, vers des horizons plus cléments.

Le REM a été mis en branle par la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ). Celle-ci, lancée par Jean Lesage en 1965 pour gérer les pensions et les assurances de la province, s'est d'abord concentrée sur les obligations financières, mais en 1971, elle a commencé à constituer un portefeuille d'actions composé principalement d'entreprises québécoises. Dans les années 80 et 90, la CDPQ s'est lancée sur le marché de l'immobilier et, au milieu des années 2000, elle a commencé à investir dans les infrastructures, principalement dans les aéroports étrangers. Elle a perdu 40 milliards de dollars lors du krach financier de 2008, mais sous une nouvelle direction, elle a abandonné les investissements commerciaux à court terme pour revenir aux obligations à long terme. Plus récemment, sous la direction de Michael Sabia, il a été décidé de se lancer dans le secteur de la construction.

En 2015, le soi-disant Québec souffrait d'un déficit d'infrastructures publiques, c'est-à-dire d'une longue liste de projets promis mais jamais réalisés. Les libéraux·ales pensaient que les sociétés privées étaient plus efficaces que les ministères pour faire avancer les choses. Ils ont donc créé une entente avec la Caisse de dépôt, qui était à l'époque une société d'État. Sabia souhaitait alors expérimenter la construction de projets du même type que ceux dans lesquels il investit à l'étranger. Couillard voulait un train pour desservir l'aéroport et pour relier la Rive-Sud au centre-ville. La Caisse avait justement déjà fait partie du consortium qui avait construit la Canada Line à Vancouver. Sabia a donc décidé de construire un autre SkyTrain.

La CDPQ y a investi 3 milliards de dollars. Les gouvernements du soi-disant Québec et d'Ottawa ont donné chacun 1,28 milliards de dollars pour le projet. Hydro-Québec lui a octroyé 295 millions de dollars et l'Autorité régionale de transport de Montréal (ARTM), 512 millions de dollars pour couvrir les revenus que la Caisse tirera de l'amélioration des terrains autour du train.

Selon l'accord en vigueur, en échange de la construction et de la gestion du REM, qui sera exploité par l'ARTM, la CDPQ obtiendra un rendement annuel de 8 % sur son argent. Aucune autre ligne de transport en commun ne sera autorisée à exploiter des lignes parallèles au REM, et toutes les lignes de bus devront s'y raccorder. La Caisse sera propriétaire du REM pendant la phase de mise en œuvre, mais sera libre de le vendre par la suite, et les mêmes conditions s'appliqueraient au nouveau propriétaire le cas échéant, c'est-à-dire 8 % de retour sur investissement. Le gouvernement ne deviendrait pas automatiquement propriétaire, comme c'est souvent le cas dans les partenariats public-privé. Il devrait acheter le REM s'il le souhaitait et ne bénéficierait pas d'un prix préférentiel. S'il décidait d'attendre l'expiration de l'accord pour se l'approprier, il devrait patienter pendant 99 ans.

L'accord était censé être mutuellement bénéfique: la CDPQ gagnerait de l'argent pour les retraités et la Ville de Montréal recevrait un train. Cependant, il est clair que la convention a davantage profité à la Caisse qu'à la Ville ou à la province. En effet, la plupart des partenariats public-privé ne durent que 20 ou 30 ans, pas 99. De plus, 8 % est un dividende extraordinairement élevé pour 2017, puisque le taux d'intérêt préférentiel n'était que de 3,2 % en septembre de cette année-là. Sabia a eu les coudées franches pour décider ce qu'il fallait construire, une gifle pour les expert·e·s en transport de l'ARTM – dont beaucoup ont démissionné, car iels comprenaient mieux que lui les besoins en transport de soi-disant Montréal. Les économistes de l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) ont prédit que les municipalités finiraient par payer 500 millions de dollars par an à la Caisse.1

Néanmoins, le REM a été un succès auprès des médias. Il s'agit du « plus important projet de transport à [soi-disant] Montréal depuis cinquante ans ». Pourtant, même le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) l'a rejeté, disant qu'il contribuerait peu à l'objectif de faire sortir les automobilistes de leur voiture, et que lui donner le contrôle du tunnel du Mont-Royal était une grave erreur. Pourtant, rien de tout cela n'avait d'importance. Tout le monde était tellement heureux que quelque chose soit enfin construit que les médias ont ignoré les avertissements. Ils ont également oublié de demander comment la compagnie allait obtenir le fameux 8 %.

Sabia a avoué plus tard qu'il n'avait pas réfléchi à la question de savoir si le REM s'intégrerait dans le réseau de transport en commun existant, ni à l'impact que ce projet aurait sur le système d'autobus. C'est la beauté de l'utilisation de l'argent des retraites pour construire des trains « indispensables » qui a excité son imagination, et comme il était alors responsable des milliards de la Caisse, ses paroles élogieuses ont été prises au pied de la lettre. Il a dû être très difficile pour quelqu'un comme Valérie Plante, qui était nouvellement mairesse en 2016, de ne pas se laisser entraîner par la bulle médiatique et tout le brouhaha. Sabia lui-même était si enthousiaste qu'il a révélé qu'il avait l'intention de commercialiser son modèle à l'échelle internationale.

Les gouvernements internationaux ont été plus brillants que celui du soi-disant Québec en 2016. Phil Goff, le maire d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, a rejeté l'offre de Sabia de construire un train semblable au REM lorsqu'il s'est rendu compte qu'il serait moins coûteux pour la ville de le construire. Les politicien·ne·s locaux·ales n'y ont rien compris parce qu'iels étaient obnubilé·e·s par la « privatisation » – malgré que cette stratégie ne fonctionne pas depuis des décennies –, convaincus à l'idée que les bureaucraties gouvernementales étaient corrompues et inefficaces et, chose étrange, que les entreprises privées pouvaient mieux faire les choses.

Aujourd'hui, on se rend compte de l'énormité de cette idée. La privatisation a peut-être connu quelques succès – ça dépend de la personne à qui l'on s'adresse – mais ces systèmes se complètent souvent de frais d'utilisation fixes qui, au lieu de puiser dans les recettes fiscales recueillies selon un impôt encore un peu progressif, frappent plus durement les personnes à faible revenu. De la même façon, la construction de projets de transport en commun avec un partenariat public-privé (PPP) au lieu du ministère des transports transfère le risque financier, mais c'est généralement à un prix très élevé. Le REM a créé un déficit dans le budget de l'ARTM. Le métro de soi-disant Montréal transporte actuellement un million de personnes par jour, alors que le REM n'en transporte que 170 000. Néanmoins, les politiciens s'attendent à ce que le REM s'accapare 12% des revenus de l'ARTM en 2027.2

Le REM est un train coûteux non seulement parce qu'il reçoit 72 cents par kilomètre-passager – le train de Deux-Montagnes qu'il a remplacé ne recevait que 24 cents –, mais aussi parce que l'ARTM doit donner à la CDPQ 8 % de ses 3 milliards de dollars. Où l'ARTM est-elle censée trouver cet argent ? Le reste du réseau de transport en commun de soi-disant Montréal est vidé de sa substance pour fournir un dividende à une banque qui est censée s'occuper de notre bas de laine. L'ironie de la situation est stupéfiante.

Plante et Projet Montréal ont accepté au début, mais que pouvaient-iels faire d'autre? Les gens au sommet de la province le voulaient clairement, alors si la mairesse voulait faire l'une des autres choses qu'elle avait promis de faire, elle devait sourire devant les caméras. Maintenant, elle doit marcher sur la corde raide entre raviver l'espoir de Coderre de revenir pour la remplacer et faire savoir à Legault à quel point elle est en colère. Legault n'est devenu premier ministre qu'après la naissance du REM, mais il a donné tous les signes de croire que les hommes d'affaires de la Caisse ne peuvent pas faire de mal, qu'ils sont honnêtes et qu'ils n'ont que nos meilleurs intérêts à cœur. Ils ont décidément une drôle de façon de s'occuper de nous. C'est un avertissement que le REM risque de se reproduire.

Texte fourni par Transparence 2000

Pour plus d'information, consultez Le train qui nous dupé de Laurel Cleugh Thompson.

 

Notes

1. https://irec.quebec/ressources/publications/Note-74.-Reseau-express-metr...

2. https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2024-06-20/transport-c...