Lors de sa campagne électorale de 2017, Projet Montréal a conquis le cœur de nombreux montréalais·e·s en promettant la construction d'une nouvelle ligne de métro, baptisée de façon créative la « ligne rose ». Cette promesse exprimait l'importance que le parti accorde depuis longtemps aux transports en commun, ainsi que le virage vers les questions de justice sociale pris par sa nouvelle cheffe, Valérie Plante. Ainsi, la nouvelle ligne de métro n'encouragerait pas seulement les Montréalais·e·s à passer de l'automobile au transport en commun, mais s'attaquerait également à la marginalisation sociale de quartiers comme Montréal-Nord, point d'arrivée de la ligne proposée. Comme l'explique la mairesse, « [c]'est un projet qui va désenclaver des quartiers repliés sur eux-mêmes... ça va ouvrir des quartiers, des commerces ».
Aujourd'hui, la ligne rose semble être un artefact d'une autre époque et d'un autre Projet Montréal. Le changement est plus important qu'il n'y paraît. Le parti a abandonné la ligne rose, oui, mais il a également laissé tomber l'emphase sur les transports collectifs et semble avoir oublié son bref flirt avec les questions de justice sociale. La sphère publique en est venue à être idolâtrer la police et à cautionner un éventail toujours plus large d'investissements dans la sécurité publique, qui ont tous bénéficié du leadership de Projet Montréal et ont mis à mal le transport collectif. Du parti de la ligne rose, Projet Montréal est devenu le parti de la mince ligne bleue.
Le changement de priorités remonte à 2020 et aux crises qui se sont superposées cette année-là. Les mesures de santé publique mises en place pour lutter contre le COVID-19 à partir de mars 2020 ont décimé l'utilisation des transports en commun. L'achalandage a diminué de 54 % entre 2019 et 2020 à soi-disant Montréal et de 56 % à l'échelle métropolitaine. L'Autorité Régionale de Transport Métropolitain (ARTM) a terminé l'année 2020 avec un manque à gagner de 477,7 millions de dollars en tarifs de transport en commun, résultat cumulatif des manques à gagner des quatre organismes de transport en commun qu'elle chapeaute, dont la Société de transport de Montréal (STM). Une injection ponctuelle de fonds du gouvernement du soi-disant Québec a permis de couvrir le déficit, mais aucun soutien à long terme n'a été promis à l'époque.
La même année, une série de meurtres policiers très médiatisés aux soi-disants États-Unis et Canada a déclenché la deuxième vague du mouvement Black Lives Matter. Soi-disant Montréal a connu les deux plus grandes manifestations contre le racisme et la violence policière de son histoire au cours de l'été 2020 et la demande du mouvement visant à définancer la police a obtenu un soutien majoritaire dans la métropole (74 %) et dans la province de soi-disant Québec (54 %). Ce soutien public laisse entrevoir la possibilité d'une nouvelle approche de la sécurité publique dans la ville. Il s'est traduit par une crise de légitimité pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui s'est opposé, comme on pouvait s'y attendre, à toute réaffectation de son financement.
Avec l'arrivée de l'automne et le début des discussions sur le budget 2021, Projet Montréal avait l'occasion de réaffirmer son engagement envers le transport collectif lors de cette crise - et peut-être aussi envers la justice sociale. En fin de compte, c'est exactement le contraire qui s'est produit. Le budget 2021 du parti a défié l'opinion publique en augmentant le financement du SPVM de 14 millions de dollars (2,1 %), tout en réduisant les dépenses en transport public de 36 millions de dollars (5,5 %). La Ville finance effectivement le transport en commun par des contributions à l'ARTM, qui distribue les revenus qu'elle reçoit des gouvernements et des tarifs de transport en commun à la STM et à trois autres organismes de transport. Le contraste entre les augmentations et les diminutions du budget en 2021 est difficile à ignorer. Projet Montréal a coupé dans le transport collectif pour redonner encore plus à la police.
Les priorités exprimées dans le budget de 2021 sont un scénario récurrent. Entre 2020 et 2024, Projet Montréal a augmenté les dépenses budgétées pour les services de police de 156 millions de dollars (23 %) tout en ajoutant seulement 47 millions de dollars (7 %) aux dépenses budgétées pour le transport public, ce qui est bien inférieur au taux d'inflation. Et il ne s'agit là que des dépenses budgétées. Sous la gouverne de Projet Montréal, le SPVM a pris l'habitude de dépenser comme bon lui semble. Depuis 2020, le SPVM a dépassé son budget de 35,7 millions de dollars en moyenne par année, un budget auto-alloué que Projet Montréal couvre chaque année sans protester. En revanche, l'ARTM et les sociétés de transport locales sont censées respecter leur budget, même si l'achalandage a été réduit par la pandémie et tarde à rebondir. Pour équilibrer son budget, la STM a réduit ses effectifs de 245 personnes (3 %) depuis 2020 et a procédé à diverses coupures de services.
L'expression la plus flagrante des nouvelles priorités du Projet Montréal est toutefois visible au sein de la main-d'œuvre de la STM et dans les stations de métro. Alors que la STM a réduit son effectif global depuis 2020, elle a augmenté le nombre d'agents de sécurité de 180 à 212 (une augmentation de 18 %). Au cours de la même période, le statut des agents est passé d' « inspecteur » à « constable spécial », un statut qui s'accompagne d'un salaire plus élevé et du pouvoir de procéder à des arrestations. De plus, en janvier dernier, elle a créé une unité de six « ambassadeurs de sûreté », et celle-ci devrait atteindre 20 membres cet été.
Toutefois, ces nombreux agents de sécurité sont loin de remplacer les larges contingents policiers présents dans le métro. Depuis la fin de 2021, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) achemine à ses postes de quartier la plupart des appels au 911 provenant des stations de métro, ce qui permet à la centaine de patrouilleurs de la section métro de se concentrer sur les enquêtes criminelles à l’intérieur du réseau. Enfin, une nouvelle escouade mixte, l’Équipe métro d’intervention et de concertation (EMIC), fut introduite en novembre 2020, et 8 intervenants psychosociaux de l’escouade civile, l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (EMMIS), furent déployés dans les stations de métro en décembre dernier.
Les priorités budgétaires générales de Projet Montréal et l'allocation des fonds avec la STM indiquent une forme de plus en plus carcérale et dystopique de construction de la ville. Les sommes qui pourraient être consacrées à la création de nouvelles lignes de transport en commun, à l'augmentation de la fréquence des services sur les lignes existantes ou à la réduction des tarifs sont canalisées vers l'appareil de sécurité à travers la ville et au sein du système de transport en commun. L'argent qui pourrait être consacré à la résolution des problèmes sociaux, y compris l'itinérance et la marginalisation de quartiers comme Montréal-Nord, est dépensé pour s'attaquer à leurs symptômes, c'est-à-dire aux personnes non logées et marginalisées. Bien entendu, rien de tout cela ne fait disparaître les symptômes des problèmes sociaux. Rien de tout cela ne rend les gens plus en sécurité. Cacher les symptômes devient un processus sans fin dans lequel les services sociaux sont affamés pour nourrir la police, où la distinction entre les problèmes et les symptômes est oubliée, et où un parti politique qui a déjà conquis le cœur de nombreux Montréalais·e·s devient un organe de collecte de fonds et de propagande du SPVM.
Encadré: Pourquoi les policiers sont aussi présents dans le métro?
Le résultat des opérations policières se traduit dans la composition carcérale: 32,4% des personnes incarcérées ont un emploi alors que le taux de chômage dépasse rarement 6% (Chéné, 2019). De la même façon, les personnes racisées et autochtones sont fortement disproportionnées dans les prisons. À elles seules, les personnes autochtones représentent le tier des admissions carcérales alors qu'elles ne représentent que 5% de la population (Statistique Canada, 2022). Ainsi, en grande majorité, le crime est le résultat de personnes qui peinent à maintenir un emploi stable ou à subvenir à leurs besoins, et qui n'ont d'autre choix que des stratégies de survie jugées illégales, comme par exemple dormir dans le métro, quêter, vendre de la drogue, etc. Ceci est clair dans les données statistiques, qui montrent que certaines années. 40% de contraventions sont données à des personnes en situation d'itinérance (Bellot et al., 2021). Un des derniers espaces publics, le transport collectif, est devenu un espace de prédation pour les services policiers. Les revenus tarifaires de la STM étant de seulement 466 millions, il est facile de voir que les sommes investies dans le contrôle des pauvres, le contrôle des billets par les guérites, les inspecteurs ou les bornes de ventes pourraient simplement servir à fournir un transport gratuit.
Références
Bellot, C., Sylvestre, M.-È., Poisson, J., Lesage-Mann, É. et Fortin, V. (2021, janvier). Judiciarisation de l’itinérance à Montréal. Récupéré de http://rapsim.org/wp-content/uploads/2021/01/VF2_Judiciarisation-de-liti...
Chéné, B. (2019). Profil de la population correctionnelle 2015-2016. Ministère de la sécurité publique. Récupéré de https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/securite-publique/publ...
Statistique Canada. (2022, 20 avril). Adult and youth correctional statistics, 2020/2021. The Daily. Récupéré de https://www150.statcan.gc.ca/n1/en/daily-quotidien/220420/dq220420c-eng.pdf
Notes
La mince ligne bleue est une badge porté par plusieurs policiers du SPVM. Le logo est apparu en 2014 aux États-Unis, lors des confrontations du mouvement Black Lives Matter (les vies noires comptent), où les policiers ont mis en place en réponse Blue lives matter (les vies des policiers comptent). Ces deux violences ne sont en rien comparables. Aux soi-disant États-Unis comme au soi-disant Canada, les personnes noires sont disproportionnément ciblées et assassinées par les policiers, fréquemment racistes, et le mouvement Blue Lives Matter s'inscrit en réaction à la défense des droits des personnes racisées. Ce logo est donc associé à la suprématie blanche. Il a été ouvertement porté par des policiers montréalais, par exemple lors des manifestations contre la COP15.