Le sol de la République démocratique du Congo (RDC) regorge des minéraux nécessaires au maintien du mode de vie des pays du Nord global et d’un nombre croissant de pays du Sud global. Le 19 janvier dernier, la compagnie Northvolt a d'ailleurs annoncé son intention d'acheter du cobalt du pays d'Afrique centrale1. Pourtant, les populations locales qui extraient ces minerais n’en tirent pas d’avantage: la vaste majorité des profits revient à des compagnies minières étrangères (dont certaines du soi-disant Canada) auquel le gouvernement congolais donne le feu vert et à des groupes rebelles armés opérant principalement dans l'est du pays. Les mineur·se·s, quant à elleux, font face à des conditions de travail et de vie inhumaines, et leurs demandes sont violemment réprimées. La crise humanitaire sévissant au Congo n’est pas le fruit d’un hasard: elle est la manifestation de l’impérialisme, du colonialisme et du capitalisme globaux régnant sur terre depuis plus de cinq siècles.

La situation actuelle

Suite aux deux guerres du Congo du tournant du siècle, une période de paix relative fut instaurée en RDC par des accords de paix entre les belligérants majeurs, notamment les gouvernements de la RDC, du Rwanda et de l'Ouganda. Cette période de calme relative ne dura cependant pas longtemps, notamment en raison de la montée du mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé créé en 20122. La situation au Congo est présentement marquée par une bataille livrée par des centaines de groupes armés pour s'accaparer des zones riches en minerais, en métaux et en énergies fossiles. Les groupes armés, pour financer leurs activités, ont recours au travail forcé des populations locales et à la vente des "minerais de conflits" ainsi obtenus.

En regardant l'histoire coloniale du Congo, il devient évident que ces tensions sont la suite de siècles d'oppression coloniale. L'État indépendant du Congo, tel qu'on le nommait à l'époque, était la propriété personnelle de Léopold II, roi des Belges, de 1885 à 19083. Celui-ci exploita sans vergogne les populations locales pour produire du caoutchouc. Pour s'assurer un maximum de productivité, il imposa un système de quotas brutal, punissant les Congolais·e·s ne rapportant pas assez de caoutchouc en leur coupant la main ou en les exécutant4; plusieurs millions périrent de ces exactions. Les pratiques de Léopold II étaient tellement inhumaines que le Parlement belge de l'époque transféra l'État indépendant du Congo à la Belgique en 19085.

Sous le nom de Congo belge, le territoire devint le foyer d'importantes plantations agricoles, de fermes et de mines. Incidemment, l'économie de la RDC repose encore largement sur l'industrie minière. Malgré que le Congo belge représentât une amélioration comparativement à l'administration personnelle atroce de Léopold II, il demeurait tout de même une colonie, avec tout le lot de violence, d'exploitation et de travail forcé que le terme implique. C'est pourquoi de nombreux groupes et partis politiques tels que le Mouvement National Congolais affrontèrent l'administration coloniale, culminant avec les émeutes de 1959. Le Congo gagna son indépendance en 1960.

Le néocolonialisme selon Frantz Fanon

Selon l’auteur et penseur décolonial martiniquais Frantz Fanon, la vague de mouvements d’indépendance ayant soulevé nombre de pays africains à compter des années 60 n’a pas mené à un changement substantiel dans ceux-ci. Les nouveaux gouvernements s’étant approprié la force des mouvements de libération nationale ont nominalement mis fin au colonialisme, mais ont en réalité perpétué la nature exploitative des échanges entre les métropoles et les anciennes colonies6. Ceci est peu surprenant, sachant que les dirigeant·e·s des nouveaux États indépendants étaient principalement issu·e·s des classes affluentes et souvent éduqué·e·s à l'européenne.

Bien sûr, une nuance s'impose: tou·te·s les leaders populaires ne voulaient pas ressusciter la structure coloniale. Par exemple, citons le cas de Patrice Lumumba, premier premier ministre du Congo et figure de proue du panafricanisme, assassiné aux mains du général Moïse Tshombe et de conseillers et mercenaires belges, le tout avec l'appui de la CIA7. Et pour cause, les États néocoloniaux, craignant que leurs anciennes colonies nationalisent leurs ressources naturelles, donnèrent leur aide financière et militaire aux groupes s’alignant avec leurs intérêts afin de renverser tout réel mouvement d’émancipation populaire. Cela explique pourquoi des pays extrêmement riches en matières premières souffrent toujours de famines, de pauvreté, et d’instabilité politique: la guerre est une partie intégrante de ce système, pas une variable oubliée.

L’impérialisme des nations de l’Europe occidentale (et plus tard, de la soi-disant Amérique du Nord) a entraîné celles-ci dans une course effrénée à l'hégémonie mondiale. De cette compétition a naturellement découlé le colonialisme, caractérisé par l’expansion et l’intensification de l’exploitation des êtres humains et des ressources naturelles. Aujourd'hui, ce modus operandi a été repris par virtuellement tous les États-nations, même ceux s'autoproclamant les bastions de l'anti-impérialisme.

Pas de consommation éthique

    Certains individus sont tentés de rationaliser leur achat de produits issus d'un système d'exploitation par la pensée suivante: “en mettant fin au système, on ferait plus de mal que de bien. Les personnes qui y travaillent ont besoin que l’on achète leurs produits pour se nourrir!” Or, deux choses peuvent être simultanément vraies: un échange entre deux partis peut être mutuellement bénéfique comparativement à l’absence d’échange, et un tel échange peut également constituer de l’exploitation.

    En effet, les circonstances précédant la conclusion d’une entente peuvent massivement avantager un côté au point de créer de l’exploitation. L'héritage colonial des relations commerciales internationales se manifeste toujours par le transfert disproportionné de labeur et de ressources des anciennes colonies aux anciens empires8. Bref, il n’est pas nécessaire de penser à l’économie comme un jeu à somme nulle pour reconnaître que l’exploitation est possible et qu’il est moralement nécessaire d’abolir les relations patronat/travailleur·euse, colon·ne/colonisé·e et nord/sud. Ainsi, la création de sociétés plus écologiquement viables ne peut se faire qu’en se débarrassant du système capitaliste néocolonial. Pour reprendre les mots du fondateur de l’écologie sociale, Murray Bookchin, “la crise écologique est une crise sociale”. Inversement, l’abolition du néocolonialisme ne peut se faire qu’en rendant nos sociétés plus écologiques: le mode de vie extrêmement consumériste et énergivore des pays du Nord global requiert l’exploitation des pays du Sud global.

 

Notes

  1. Mukherjee, Supantha. (2024, 19 janvier). Battery maker Northvolt looks at sourcing cobalt from Congo. Reuters.
  2. Center for Preventive Action. (2023). Conflict in the Democratic Republic of Congo. Council on Foreign Relations.
  3. Agence France-Presse. (2020, 30 juin). Passé colonial belge : « regrets » historiques du roi Philippe aux Congolais. Radio-Canada.
  4. Ndala, Blaise. (2021, 22 septembre). Les horreurs de l’exploitation du caoutchouc par les Belges au Congo". Aujourd’hui l’histoire. Baladodiffusion. 23 minutes.
  5. Belgian Congo. (2023, 25 octobre). Encyclopaedia Britannica. Consulté le 2 février 2024.
  6. Fanon, Frantz. (1961). Les Damnés de la Terre. Paris, Éditions La Découverte, p. 160.
  7. Chotiner, Isaac. (2023, 30 octobre). The Real Story Behind Patrice Lumumba’s Assassination. The New Yorker.
  8. Hickel, Jason et al. (2022). Imperialist appropriation in the world economy: Drain from the global South through unequal exchange, 1990–2015. Global Environmental Change, 73 (102467).